Hélas la pose n'a pas été terminée : peut-être pourrons-nous inaugurer le canal enfin terminé à l'été 2015 ?
Rouchas Frach, c'est un lieu-dit qui surplombe le village, c'est surtout le nom du canal d'irrigation crée dans des temps très anciens et réhabilité depuis quelques années par l'association les Fountgillencs, sous l'impulsion de Jean-Claude Bonnuit.
C'est maintenant un sentier de promenade pédagogique et artistique :
Le hasard et la nécessité : le Canal d'arrosage Rouchas Frach
Pourquoi tous ces canaux
d'arrosage ça et là dans le monde, entre autres autour du bassin
méditerranéen, et plus particulièrement dans le Queyras (Hautes
Alpes) dont les prés pentus sont encore joliment maillés des
empreintes qu’ils nous ont laissées ?
Il suffit en effet d’ouvrir
l’œil pour découvrir ces discrets sillons quasi horizontaux,
certains interminables, sur des kilomètres, d’autres modestes, sur
quelques dizaines de mètres.
La réponse est simple : ils sont des centaines, longs et collectifs, courts et privés, qui, de leur vivant ont apporté les bases de la vie, parfois de la survie, à des générations de montagnards, durant des siècles.
Rouchas Frach est, comme ses
frères queyrassins, l'exemple type de l'association du hasard et de
la nécessité du philosophe Jacques Monod. Disons, pour la
commodité, de la nécessité et du hasard
La
nécessité
Déjà
méditerranéen malgré la latitude, le climat du Queyras est sec et
doté d'un exceptionnel ensoleillement. La sécheresse est surtout
sensible en été au moment où les plantes ont le plus besoin d'eau.
Les sols, en surface, ne retiennent pas l'eau des pluies et de la
fonte des neiges du printemps. Une partie de cette eau ruisselle
immédiatement et une autre pénètre en profondeur. Plus tard, elle
ressurgit sous la forme de sources, puis de torrents, puis au loin
dans les plaines, de rivières et de fleuves.
D'où
les canaux d'arrosage gravitaires construits par les hommes, canaux
qui vont chercher l'eau là où elle est disponible, le plus souvent
dans les torrents. Le but est de pallier le décalage inopportun
établi par la nature, décalage entre l'eau du printemps et le
soleil de l'été.
Voila
pour la nécessité.
Le
hasard
Comme
pour apporter sa contribution au projet des hommes, le hasard, cette
fois, a bien fait les choses dans le Queyras. Le hasard s'appelle
d'un côté les Sarrasins et d'un autre côté la Grande Charte de
1343.
Les
Sarrasins ont probablement introduit avec leur venue les techniques
de l'irrigation appliquées chez eux et les ont communiquées aux
autochtones.
L'hypothèse mérite d'être retenue. On sait aujourd'hui qu'ils
n'ont pas été tous arrêtés à Poitiers en 732. Durant les siècles
qui ont suivi, ils ont progressivement pénétré les vallées du
Massif Central et des Alpes.
La
toponymie, si elle n'est pas une preuve, n'en apporte pas moins des
indices surprenants : la Vallée de la Maurienne, la Roche Maure, le
Serre de Combe Sarrasine sur les pentes de la Gardiole de l'Alpe,
au-dessus de Molines, à proximité du canal Rouchas Frach.
La
Charte des Escartons du 29 mai 1343 est la seconde contribution du
hasard. Accordée aux populations de la Principauté du Briançonnais
par Le Dauphin Humbert II et payée très chèrement par elles, la
Charte stipule, entres autres, (article 16) « Les
habitants des Communautés du Briançonnais ont dès aujourd'hui le
droit de construire des canaux pour arroser leurs terres, prendre de
l'eau aux torrents et rivières sans avoir à payer le droit d'usage
ni au dauphin Humbert, ni à ses héritiers ou successeurs. »
Ces
droits étaient alors perçus partout ailleurs en France.
Cette
disposition a favorisé très positivement le développement des
canaux (et des moulins à eau) dans les Escartons de la Principauté,
dont celui du Queyras qui nous intéresse particulièrement ici.
Rouchas
Frach au fil des siècles
Pendant
plusieurs siècles Rouchas
Frach
a été le canal d'arrosage des prés des villages de Fontgillarde et
du Coin. Il est admis qu’il aurait eu sept cents ans en 1914.
Pourquoi 1914 ? En avril de cette année-là a eu lieu la
dernière corvée de réparation et d'entretien. Cette année là fut
la dernière année de vie de Rouchas
Frach,
son dernier été de canal d’arrosage. Bien des jeunes hommes de la
corvée vécurent aussi leur dernier printemps.
Au
moment où naît notre projet en 2003, Rouchas
Frach
n’est plus qu’un vestige, un trait d'un peu plus de huit
kilomètres tracé sur les adrets comme une courbe de niveau. De
l’héritage des anciens qui l'ont construit et entretenu, les
restes encore praticables de son chemin de visite, permettaient
encore la découverte de sites d'une remarquable et sauvage beauté.
Flore et faune porteuses d'intenses émotions. Comme les chaînes du
Queyras et les chaînes de l'Oisans dessinant les horizons lointains.
Des
traces de travaux anciens, par endroits des coups de burin dans la
roche, nous ont incités à rechercher comment ont vécu dans une
étroite et intime relation, les hommes et les femmes de Fontgillarde
et leur canal Rouchas
Frach,
comment ces travailleurs
ont nettoyé, réparé leur ouvrage sans relâche, et distribué
l'eau avec un sens de la rigueur et de l'équité plein
d'enseignements pour nous comme pour les générations à venir.
Au
départ, il y a sept siècles, les constructeurs de Rouchas
Frach
ont produit un travail colossal, un travail alliant énergie et
astuce, force et intelligence. Ils ont tracé leur canal sur ces huit
kilomètres, lui donnant une pente d’à peine un à deux
centimètres par mètre, lui faisant franchir, les torrents, les
combes grâce à des dispositifs astucieux. Leurs successeurs ont
continué d’entretenir leur cher canal avec acharnement et
habileté.
En
réponse, le canal leur a donné l’eau pour l’herbe des prés.
Les prés de quoi manger aux vaches, les vaches leur lait aux hommes.
Les hommes avaient fromage et viande pour eux et lait pour leurs
petits. Ainsi purent-ils vivre, ne serait ce que parfois survivre.
Notons que Fontgillarde possédait également au moins trois moulins
à eau destinés aux céréales, dont seuls quelques vestiges
subsistent, notamment une roue.
Le
projet Rouchas Frach aujourd’hui : une pédagogie de l’eau.
C’est
ainsi que naturellement, né il y a une dizaine d’années, le
projet Rouchas
Frach a
eu pour ambition de mettre en valeur l’art et les techniques de
gestion de l’eau à partir du legs de nos anciens totalement
investis dans cette charge.
Nous
avons voulu restaurer leur mémoire, la mémoire de ces hommes et ces
femmes qui ont su faire vivre leur canal avec comme objet de conduire
et de distribuer l’eau, c’est-à-dire la vie.
Il
ne s’est pas agi de remettre le canal en eau, le besoin a disparu
et l’opération aurait été des plus onéreuses. Mais plutôt de
repartir des restes du canal et de cette mémoire parvenue jusqu’à
nous pour réaliser une pédagogie
de l’eau
destinée aux générations actuelles et futures. Notre désir étant
d’apporter une très modeste réponse au problème que connaît
notre terre aujourd’hui, celui de l’eau.
Nous
avons voulu ajouter à l’œuvre léguée par les anciens, une œuvre
illustrant cette pédagogie
de l’eau.
Pour
cela, nous avons fait appel à un artiste-sculpteur, Michel Yves
Huet, installé à Château Ville-Vieille, à dix kilomètres de
Fontgillarde. En réponse, il a jalonné Rouchas Frach de créations
picturales, sculpturales et fonctionnelles, toutes dédiées à
l’eau.