Rouchas Frach

    Eté 2014 : une corvée de villageois appuyée de moyens importants (financés sur la cagnotte de l'association) apporte la touche finale à l'aménagement artistique du sentier de promenade du canal de Rouchas-Frach : les trois dernières statues sont en cours de pose au bout du chemin, vers Le Coin. Ci-dessous quelques photos :







    Hélas la pose n'a pas été terminée : peut-être pourrons-nous inaugurer le canal enfin terminé à l'été 2015 ?


Rouchas Frach, c'est un lieu-dit qui surplombe le village, c'est surtout le nom du canal d'irrigation crée dans des temps très anciens et réhabilité depuis quelques années par l'association les Fountgillencs, sous l'impulsion de Jean-Claude Bonnuit. 
C'est maintenant un sentier de promenade pédagogique et artistique :


Le hasard et la nécessité : le Canal d'arrosage Rouchas Frach

Pourquoi tous ces canaux d'arrosage ça et là dans le monde, entre autres autour du bassin méditerranéen, et plus particulièrement dans le Queyras (Hautes Alpes) dont les prés pentus sont encore joliment maillés des empreintes qu’ils nous ont laissées ?
Il suffit en effet d’ouvrir l’œil pour découvrir ces discrets sillons quasi horizontaux, certains interminables, sur des kilomètres, d’autres modestes, sur quelques dizaines de mètres.

La réponse est simple : ils sont des centaines, longs et collectifs, courts et privés, qui, de leur vivant ont apporté les bases de la vie, parfois de la survie, à des générations de montagnards, durant des siècles.

Rouchas Frach est, comme ses frères queyrassins, l'exemple type de l'association du hasard et de la nécessité du philosophe Jacques Monod. Disons, pour la commodité, de la nécessité et du hasard

La nécessité
Déjà méditerranéen malgré la latitude, le climat du Queyras est sec et doté d'un exceptionnel ensoleillement. La sécheresse est surtout sensible en été au moment où les plantes ont le plus besoin d'eau. Les sols, en surface, ne retiennent pas l'eau des pluies et de la fonte des neiges du printemps. Une partie de cette eau ruisselle immédiatement et une autre pénètre en profondeur. Plus tard, elle ressurgit sous la forme de sources, puis de torrents, puis au loin dans les plaines, de rivières et de fleuves.
D'où les canaux d'arrosage gravitaires construits par les hommes, canaux qui vont chercher l'eau là où elle est disponible, le plus souvent dans les torrents. Le but est de pallier le décalage inopportun établi par la nature, décalage entre l'eau du printemps et le soleil de l'été.
Voila pour la nécessité.

Le hasard
Comme pour apporter sa contribution au projet des hommes, le hasard, cette fois, a bien fait les choses dans le Queyras. Le hasard s'appelle d'un côté les Sarrasins et d'un autre côté la Grande Charte de 1343.
Les Sarrasins ont probablement introduit avec leur venue les techniques de l'irrigation appliquées chez eux et les ont communiquées aux autochtones. L'hypothèse mérite d'être retenue. On sait aujourd'hui qu'ils n'ont pas été tous arrêtés à Poitiers en 732. Durant les siècles qui ont suivi, ils ont progressivement pénétré les vallées du Massif Central et des Alpes.
La toponymie, si elle n'est pas une preuve, n'en apporte pas moins des indices surprenants : la Vallée de la Maurienne, la Roche Maure, le Serre de Combe Sarrasine sur les pentes de la Gardiole de l'Alpe, au-dessus de Molines, à proximité du canal Rouchas Frach.

La Charte des Escartons du 29 mai 1343 est la seconde contribution du hasard. Accordée aux populations de la Principauté du Briançonnais par Le Dauphin Humbert II et payée très chèrement par elles, la Charte stipule, entres autres, (article 16) « Les habitants des Communautés du Briançonnais ont dès aujourd'hui le droit de construire des canaux pour arroser leurs terres, prendre de l'eau aux torrents et rivières sans avoir à payer le droit d'usage ni au dauphin Humbert, ni à ses héritiers ou successeurs. »
Ces droits étaient alors perçus partout ailleurs en France.

Cette disposition a favorisé très positivement le développement des canaux (et des moulins à eau) dans les Escartons de la Principauté, dont celui du Queyras qui nous intéresse particulièrement ici.

Rouchas Frach au fil des siècles
Pendant plusieurs siècles Rouchas Frach a été le canal d'arrosage des prés des villages de Fontgillarde et du Coin. Il est admis qu’il aurait eu sept cents ans en 1914. Pourquoi 1914 ? En avril de cette année-là a eu lieu la dernière corvée de réparation et d'entretien. Cette année là fut la dernière année de vie de Rouchas Frach, son dernier été de canal d’arrosage. Bien des jeunes hommes de la corvée vécurent aussi leur dernier printemps.

Au moment où naît notre projet en 2003, Rouchas Frach n’est plus qu’un vestige, un trait d'un peu plus de huit kilomètres tracé sur les adrets comme une courbe de niveau. De l’héritage des anciens qui l'ont construit et entretenu, les restes encore praticables de son chemin de visite, permettaient encore la découverte de sites d'une remarquable et sauvage beauté. Flore et faune porteuses d'intenses émotions. Comme les chaînes du Queyras et les chaînes de l'Oisans dessinant les horizons lointains.

Des traces de travaux anciens, par endroits des coups de burin dans la roche, nous ont incités à rechercher comment ont vécu dans une étroite et intime relation, les hommes et les femmes de Fontgillarde et leur canal Rouchas Frach, comment ces travailleurs ont nettoyé, réparé leur ouvrage sans relâche, et distribué l'eau avec un sens de la rigueur et de l'équité plein d'enseignements pour nous comme pour les générations à venir.

Au départ, il y a sept siècles, les constructeurs de Rouchas Frach ont produit un travail colossal, un travail alliant énergie et astuce, force et intelligence. Ils ont tracé leur canal sur ces huit kilomètres, lui donnant une pente d’à peine un à deux centimètres par mètre, lui faisant franchir, les torrents, les combes grâce à des dispositifs astucieux. Leurs successeurs ont continué d’entretenir leur cher canal avec acharnement et habileté.


En réponse, le canal leur a donné l’eau pour l’herbe des prés. Les prés de quoi manger aux vaches, les vaches leur lait aux hommes. Les hommes avaient fromage et viande pour eux et lait pour leurs petits. Ainsi purent-ils vivre, ne serait ce que parfois survivre. Notons que Fontgillarde possédait également au moins trois moulins à eau destinés aux céréales, dont seuls quelques vestiges subsistent, notamment une roue.

Le projet Rouchas Frach aujourd’hui : une pédagogie de l’eau.

C’est ainsi que naturellement, né il y a une dizaine d’années, le projet Rouchas Frach a eu pour ambition de mettre en valeur l’art et les techniques de gestion de l’eau à partir du legs de nos anciens totalement investis dans cette charge.

Nous avons voulu restaurer leur mémoire, la mémoire de ces hommes et ces femmes qui ont su faire vivre leur canal avec comme objet de conduire et de distribuer l’eau, c’est-à-dire la vie.

Il ne s’est pas agi de remettre le canal en eau, le besoin a disparu et l’opération aurait été des plus onéreuses. Mais plutôt de repartir des restes du canal et de cette mémoire parvenue jusqu’à nous pour réaliser une pédagogie de l’eau destinée aux générations actuelles et futures. Notre désir étant d’apporter une très modeste réponse au problème que connaît notre terre aujourd’hui, celui de l’eau.

Nous avons voulu ajouter à l’œuvre léguée par les anciens, une œuvre illustrant cette pédagogie de l’eau.
Pour cela, nous avons fait appel à un artiste-sculpteur, Michel Yves Huet, installé à Château Ville-Vieille, à dix kilomètres de Fontgillarde. En réponse, il a jalonné Rouchas Frach de créations picturales, sculpturales et fonctionnelles, toutes dédiées à l’eau.